Le passé, c’est loin, mais parfois il s’approche, à la faveur d’une petite nuit pâle, quand la lune éclaire une rue déserte du faubourg. Peut-être était-ce en Allemagne, ou dans l’Autriche-Hongrie d’un autre siècle. C’est dans ces confins de l’empire que je l’ai rencontré, — j’avais peut-être bu du Tokaji, ce soir-là. Lui aussi, il buvait du Tokaji. « Servus ! » me lança-t-il dans un sourire. Je vis tout de suite qu’il se forçait à sourire, le cœur n’y était plus, déjà, alors que je venais tout juste d’arriver. « Qu’écrivez-vous ? » lui demandai-je. Il leva les yeux au ciel, c’était curieux parce que tout à coup nous étions dans le salon d’un hôtel prestigieux, dont le plafond disparaissait dans les hauteurs rococo des stucs alambiqués. « Oh, j’écris encore, me répondit-il, mais mon cœur ne suit plus. Il peine. Il désire un autre monde. » Ecritures d’atelier, chez Halbo, vendredi 29 octobre dernier (photographie de Todd Hido, A road divided, 2009).