Le jour, par la canicule, je me réfugiais dans la taverne de l’oncle Anghel, fraîche comme une cave. J’arrosais, balayais, lavais les verres et apprenais l’art d’ouvrir une cannelle pour tirer le vin. L’oncle me regardait faire et disait : « Deh, mon garçon, je voudrais bien te garder près de moi, car tu m’as l’air dégourdi, mais ce ne serait guère sage : l’enfant qui se sent chez un parent devient effronté et se gâte. Il n’y a que chez les étrangers que l’on apprenne à devenir homme. Mais il ne faut pas entrer au service de quelque mesquin. Cherche un maître opulent. Et sers-le avec foi ! Ne t’habitue surtout pas à chaparder, c’est chose fort nuisible dans le commerce et qui porte malchance. Si tu as envie d’une friandise, va droit à ton maître, regarde-le ouvertement dans les yeux et dis-lui : “ Monsieur Pierre, j’aimerais bien manger un craquelin aujourd’hui ! ” S’il te donne un sou, achète et mange ; sinon, patiente ! » Panaït Istrati, Mes départs, éditions Gallimard, 1928.