21 avril 2011
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DANS LA MAISON AUX SINGES. Donc, vers le 13 janvier 1622 à Paris, un premier-né fragile fit son apparition chez monsieur Jean-Baptiste Poquelin et son épouse Marie Poquelin-Cressé. Le 15 janvier,
il fut baptisé à l’église Saint-Eustache et prénommé en l’honneur de son père Jean-Baptiste. Les voisins félicitèrent Poquelin et la corporation des tapissiers sut qu’un nouveau tapissier et
marchand de meubles était venu au monde. Mikhaïl Afanassievitch Boulgakov, Le roman de monsieur de Molière.
31 mars 2011
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Je me rendis dans une papeterie, j’achetai un gros cahier relié en moleskine noire. De retour chez moi, tout en buvant mon thé, je me disais : « Oui, assez tergiversé. Je vais surtout me
consacrer à la lecture. S’il m’arrive d’écrire, ce sera simplement sous forme de notations brèves, pour fixer au fil de la plume des pensées, des impressions, des observations… » Et, trempant ma
plume dans l’encrier, je calligraphiai avec application : Alexis Arséniev. Notes. Ivan Bounine, in La vie d’Arséniev.
13 février 2011
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Depuis longtemps, le long crépuscule printanier, assombri par les nuages pluvieux, était tombé, le lourd wagon grondait en traversant les champs nus et frais, — le printemps, dans les champs,
était encore à son début, — les contrôleurs passaient dans le couloir du wagon, demandant les billets et mettant des bougies dans les lanternes, et Mitia se tenait toujours près de la vitre
tintante, sentant l’odeur que le gant de Katia avait laissé sur ses lèvres, encore tout embrasé par la flamme aiguë du dernier instant de la séparation. Et le long hiver moscovite, heureux et
torturant, qui avait transformé sa vie entière, se levait devant lui sous un jour tout nouveau. Et Katia, elle aussi, lui apparaissait sous un jour encore nouveau. Oui, oui, qui saura exprimer ce
qu’elle est, ce qu’elle représente ? Et l’amour, la passion, l’âme, le corps ? Qu’est-ce donc ? Il n’y a rien de tout cela, il y a quelque chose d’autre, de tout à fait autre ! Le parfum de ce
gant, n’est-ce pas aussi Katia, l’amour, l’âme, le corps ? Et les paysans, les ouvriers du wagon, la femme qui conduit au lavabo son horrible enfant, les bougies ternes dans les lanternes
tintantes, le crépuscule dans les champs printaniers et vides, tout cela est amour, tout cela est âme — et tout cela est torture, et tout cela est joie ineffable ! Ivan Bounine,
Le sacrement de l’amour, traduction de Dumesnil de Gramont, éditions Stock, 1925, — photo inédite contrecollée sur son recueil de poésies Poésies choisies édité à Paris en
1929 aux éditions Annales contemporaines.
10 février 2011
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Il remarqua qu’il était habillé comme pendant sa conversation avec Catherine et que, par conséquent, il ne s’était pas écoulé beaucoup de temps depuis qu’elle l’avait quitté. Le feu de la
décision coulait dans ses veines. Par hasard, il toucha avec sa main un grand clou, enfoncé dans la cloison le long de laquelle on avait installé son lit. Il le saisit, s'y suspendit de tout son
corps et arriva ainsi à une fente par où une mince raie de lumière filtrait dans sa chambre. Il appliqua l’œil contre cette fente, et, retenant son souffle, regarda. La
logeuse, de Fiodor Dostoïevski, traduction de J.-W. Bienstock, éditions Rieder, 1920 (Dostoïevski par Rundaltsov, détail, musée Dostoïevski, Saint-Pétersbourg).
2 février 2011
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A quoi ressemblaient les dimanches, au début, les dimanches de la rue Toullier ? Ce premier dimanche de 1902. Le seul, peut-être, dont Rainer se souvienne vraiment. Il pleuvait. C’était l’été et
il pleuvait. C’était l’été et on balayait déjà les feuilles sur les trottoirs. Ça ne s’oublie pas. Il n’était pas allé bien loin. Il avait visité le Panthéon, juste au-dessus de chez lui, un
endroit « calme, doux et vaste », où il avait eu envie d’enlever son chapeau comme dans une église. Puis il avait traversé son Jardin pour se rendre jusqu’au Musée du Luxembourg. Manet, Renoir,
Degas, Caillebotte. Manet surtout, l’Olympia, « puissante et forte ». Et puis Rodin, déjà, toujours, Rodin qu’il n’avait pas encore rencontré. Béatrice Commengé, En face du
Jardin, six jours dans la vie de Rainer Maria Rilke, Flammarion, 2007 (Rainer Maria Rilke, portrait de Leonid Pasternak).
20 décembre 2010
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Le bateau n’est pas fameux. Ce qu’il y a de mieux c’est le water-closet. La lunette est si haut perchée au sommet de quatre marches, qu’une personne un peu naïve dans le genre d’Ivanenka la
prendrait facilement pour un trône. Le pire sur ce bateau ce sont les repas. Voici le menu sans changer l’orthographe : soupe au chou verd, saucisses aux chou, esturgeon fri, pouding de
chat ; le chat se révéla être de la kacha. Comme j’ai gagné mon argent à la sueur de mon front, j’aurais préféré que ce fût l’inverse et que les repas fussent mieux que les cabinets…
D’autant plus qu’avec le vin de Santorin, j’ai les intestins bouchés et vais pouvoir me passer de water jusqu’à Tomsk. Anton Tchékhov, sur l’Alexandre Nevski, Volga, à
Tchékhova, le 23 avril 1890, traduit par Louis Martinez, éditions cent pages, 2003.
15 décembre 2010
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Dans la cour, les enfants jouaient au milieu du passé simple des siècles. La ville était très ancienne, creusée, farcie de grottes et de cachettes. Les après-midi d’été, quand les habitants
étaient en vacances ou disparaissaient derrière leurs volets, j’allais dans une deuxième cour où se trouvait une citerne recouverte de planches en bois. Je m’asseyais dessus pour écouter les
bruits. D’en bas, qui sait à quelle profondeur, montait un chuintement d’eau agitée. Une vie était enfermée là, un prisonnier, un ogre, un poisson. L’air frais passait entre les planches et
séchait ma transpiration. Dans mon enfance, j’avais la plus totale liberté. Les enfants sont des explorateurs et veulent connaître les secrets. Je suis donc retourné derrière la statue pour voir
où menait la trappe. C’était le mois d’août, le mois où les enfants grandissent le plus. Erri De Luca, Le jour avant le bonheur, Gallimard, 2010.
10 décembre 2010
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J’ai mis ma petite laine que m’a tricotée Kitty (elle tricote depuis huit jours en regardant la télé qu’elle a réparée). J’ai l’air plutôt tranquille comme ça, mais ne vous y fiez pas, je ne dors
que d’un œil et que d’une oreille. Miss Soja.
30 novembre 2010
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Il était facile quand je vous connaissais à peine
de vous saluer de loin, droite comme une reine.
Le vers à l’époque était équilibré
il se disait lentement, la tête bien posée.
Il sera délicieux et doux
le moment où… mais taisons cela
la rime s’est effondrée
l’amour est seule poésie
Je me lance sans avoir jamais appris
(moi, maçon ?)
à construire en quelques vers
un invisible pont,
la partie aérienne de mon chantier.
Nul ne voit ce tunnel innocent
que je creuse vers vous en rêvant.
Catherine Ternaux, Poème de chantier, in Liseron n° 38, octobre 2006.
30 novembre 2010
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Les souvenirs auxquels nous tenons le plus sont ceux des premiers lieux où nous avons été livrés à nous-mêmes. Ces lieux n’étaient pas, pour le jeune Digoin, des squares, ni des rues, ni la place
plantée de platanes d’une charmante ville de province, mais la campagne avec ses chemins creux, ses sous-bois, ses cachettes et son espace. A quatre heures, quand il rentrait chercher son morceau
de pain et sa tablette de chocolat couverte de médailles, dans cette maison où l’eau coulait sur les murs, à cause d’un phénomène de condensation disait son père, il tombait dans une tristesse
sans borne. Le perron surmonté d’une armature de marquise, la double porte d’entrée avec ses vitraux de couleur, le salon à gauche, la salle à manger à droite, la véranda dans le fond, dont la
toiture de verre laissait passer la pluie si bien qu’on était obligé de disposer un peu partout des bols, des cuvettes, de brocs, tout cela respirait la misère des soucis domestiques.
Emmanuel Bove, Adieu Fombonne, Le Castor astral, collection Millésimes Littérature, 2005. Louise et Emmanuel Bove sur le Grand Pont à Lausanne (Suisse).