Depuis ce matin, Clara n’arrête pas de rejouer les premières petites notes du début de cette inexorable romanze , du concerto composé dans l’hiver viennois de 1785 . Les robes de Constanze bruissent de la chambre au salon, dont les fenêtres s’ouvrent...
« C’était l’été à Berlin. Jusque tard dans la nuit, les tramways passaient en décrivant une large courbe au tournant de Zionskirchastrasse et de la Kastanienallee. Ils étaient presque vides. Bosmans pensait qu’il suffisait de prendre l’un d’eux, au hasard,...
( suite de la gazette du Grandval ) 8 novembre 1760. La belle journée que celle de la Toussaint ! En profitâtes-vous ? À huit heures du matin, étiez-vous habillées ? Aviez-vous mis vos chaperons et pris vos bâtons ? Je suis sûr que non. Vous dormiez,...
John Cassavetes raconte des jeunes gens qui courent dans les rues de New York. C’est le matin, très tôt, — ou le soir, tard. Les jeunes gens sont musiciens, ou artistes en mal d’inspiration. Il y a des bars, des filles un peu louches perdues au bout des...
Aujourd’hui, je ne sais pas pourquoi, je me sens triste. Ce n’est pas un bon jour, — le ciel est gris, la mer n’est qu’une plainte déchirante autour des îles, même les fleurs ne sont pas à la fête. Ce n’est pas moi qui suis triste, c’est la tristesse...
C’est le tout début de Charulata , le film qu’en 1963 Satyajit Ray adapta de Nôshţoniŗh , la nouvelle de Rabin- dranath Tagore. Charulata brode dans un berceau de feuilles l’initiale du nom de son mari, Bhupati, pendant que le générique défile au rythme...
« Quand il portait un chapeau — dans la rue ou dans le métro – et qu’on ne remarquait pas les reflets vifs qui argentaient ses cheveux roussâtres coupés court, quand on voyait la fraîcheur de son visage fin rasé de prés, et le port bien droit de sa haute...
Auguste-Gabriel surveille sa toupie qu’il regarde tourner sur la petite table de bois. La toupie commence à perdre de la vitesse, et elle va bientôt s’affaisser sur le côté. Auguste-Gabriel appréhende la chute inévitable de son jouet, mais, en même temps,...
« Tout familier que nous est son nom, il s’en faut de beaucoup que le narrateur, dans son activité vivante, nous soit vraiment présent. Il est pour nous une réalité lointaine et qui s’éloigne de plus en plus. Qualifier Leskov de narrateur, c’est moins...
Zorah sur la terrasse d’Abdelkader Djemaï est publié au Seuil et sort ces jours-ci dans les librairies. Henri Matisse est allé deux fois à Tanger où il séjourna au début du siècle dernier. Pas très loin, du côté d’Oran en Algérie, le grand-père d'Abdelkader...
« Reiner imaginait alors une plaine, un espace infini qui ne fût ni limité par des montagnes, ni menacé par des avalanches. Tout au long de cette vaste étendue se déroulaient de larges bandes bleues — des fleuves —, se dressaient çà et là d’épaisses forêts,...
« Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de Miss Kitty, il serait absolument nécessaire que j’aille lui acheter un gros pot de miel à l’épicerie, je suis sûr que cela lui ferait rudement plaisir », se dit Winnie en se grattant modestement l’oreille. Mais on...
« La promenade dans les petits coins du navire est toujours amusante ; c’est très propre et très brillant : tout luit, à l’intérieur ; le vernis blanc des cabines, les bois et les glaces des salons, les branches métalliques des lampes. Des avis affichés...
Un samedi ? étions-nous réellement un samedi ? — non, c’était un autre jour, un jour fade et tout ramolli, qui ne ressemblait à aucun des autres jours de la semaine, et Alberto se demandait ce qui pouvait arriver un jour tel que celui-ci dans sa vie....
(…) Pina Bausch est enfin née pendant ces journées lumineuses du printemps 1978, tandis qu’elle s’achemine, obstinée et intransigeante, sur ses bientôt quarante ans. C’est une somnambule à la figure livide échappée d’une esquisse douloureuse et tremblante...
Datée du 27 Mai 1641 et contemporaine des Méditations , une lettre de René Descartes a été retrouvée à Haverford. É rudit de philosophie à Utrecht aux Pays-Bas, Erik-Jan Bos découvre une référence dans une liste de manuscrits du Haverford College, en...
Cet après-midi, pendant que je lisais La vie de Marianne, le vent s’est levé brusquement dans la rue, poussant sur les pavés les dernières feuilles mortes. Bientôt tout s’arrêta tout aussi brusquement, et le vent retomba ; derrière la fenêtre, le monde...
… Sans doute, on voit bien qu’il s’est frotté au beau monde, et qu’il connaît son Marivaux. Mais c’est toujours la vieille querelle : lui fera-t-on grief de certaine singularité d‘expression ? Singularité nécessaire, répond Jacob, quand « il est question...
C’est à Berlin à la fin des années vingt du vingtième siècle. Wolfgang, un jeune représentant, invite Christl à la plage de Wannsee. Pourquoi pas ? Erwin, le voisin de Wolfgang, chauffeur de taxi de son état, l'accompagne, — Christl n’a-t-elle pas eu...
« Le moment paraît donc venu de passer devant et de prendre le chemin de mon logis ; mais le moyen de le retrouver ? Au Caire, les rues n’ont pas d’écriteaux, les maisons pas de numéros, et chaque quartier, ceint de murs, est en lui-même un labyrinthe...
Tel que vous me voyez j’attends patiemment que ma copine ressorte du magasin. Elle est allée encore s’acheter des gants, un imperméable, deux shorts, trois jupes, des escarpins, une robe du soir longue comme une journée sans luzerne et pas moins de douze...
Je connais une petite fille qui ressemble vraiment beaucoup à Jeanne. Elle habite la grande ville de Paris, en France. Elle aussi attendra bientôt sa maman à la sortie de l’école, elle aussi elle aura un joli bonnet et un manteau avec huit gros boutons...
Voici onze lettres que Jerome David Salinger adressa à son voisin Michael Mitchell qui habita, lui aussi, à Westport dans le Connecticut. Ces quelques pages dactylographiées vont être bientôt dûment exposées à la Morgan Library de New York. Dans ces lettres...
Il y a très longtemps que je n’ai pas revu ce film prodigieux, — d’ailleurs ce n’est peut-être pas un film, mais plutôt une terrible dramaturgie (il y a très peu de dramaturges cinéastes mais Carl Theodor Dreyer en est un, comme John Ford). C’est encore...
Ce jour-là de février il faisait grand soleil sur la Charente. La neige avait fondu ; le vent tournait dans les branches nues des pins. Dans la petite chambre de derrière, je me souvins que j’avais écrit une sorte de roman russe. Il y avait longtemps...
« Toujours allongé sur son canapé, il se sent pris d’une fièvre inhabituelle et tandis qu’elle se poursuit dans son corps, sa tête travaille à mettre en ordre d’anciens souvenirs, à élaguer certaines choses et à en rajouter certaines autres. De nouveaux personnages secondaires se présentent, il les voit se mêler à l’action, il les entend parler. C’est comme s’il les voyait sur la scène. Deux ou trois heures plus tard il avait une comédie en deux actes toute prête dans la tête. C’était un travail à la fois douloureux et voluptueux, si on pouvait appeler cela du travail, car cela se faisait tout seul, sans l’intervention de sa volonté et sans qu’il y fût pour rien. Mais à présent il fallait l’écrire. La pièce fut achevée en l’espace de quatre jours. Il allait et venait entre son bureau et le canapé où, par intervalles, il s’effondrait comme une loque. » (August Strindberg)
Ma grand-tante s’appelait Valentine. Elle vivait en solitaire à Fontbouillon, une campagne reculée, perdue, elle vivait ? — c'est un bien grand mot, je crois que je devrais plutôt dire qu’elle rêvait. Chaque jour elle s’habillait très élégamment, comme si ç’avait été un dimanche. Elle sortait peu. Elle regardait simplement la petite route qui passait devant sa porte, — où aurait-elle pu aller ? Les maris étaient morts depuis longtemps et son fils s’obstinait à vivre dans sa folie. Valentine s’asseyait à son piano et jouait ses nocturnes. La vie de Valentine est un immense, cruel et déchirant nocturne. Il y a longtemps que je pense à écrire le roman de sa vie absente. Fleur fanée d’un souvenir lointain et douloureux.
On arrive sur la grande place dès les premières heures, et tout est encore dans le tendre déploiement du rêve ; le jour est plus que le jour, — et la nuit moins que la nuit. Les pigeons égrènent la ponctuation subtile et mouvante de leur tourbillonnante quête d’horizons. Le ciel descend au milieu des murs, et les jeunes ombres s’étirent derrière les fenêtres. On est devant les vieilles procuraties, et le cœur s’absente de soi-même. On devient le voyageur de son désir — étranger au pays de ses errances.
Il faudrait calculer le secret rapport entre la main et la pensée, — je ne suis pas sûr non plus que ce soit la pensée qui s’avance jusque dans la main, — c’est autre chose, peut-être simplement l’élan, la mise en mouvement de ce rapport justement, qui reste suspendu dans le fil courbe de la plume, et la respiration viendrait de ce qu’il faut tout de même, de temps en temps, tremper la plume dans le lac sombre de l’encrier. Peut-être les pensées sont-elles justement tout au fond dans l’encrier ? petites sirènes d’argent.