petites proses journalières, citations, musiques, ou bouts de films.
« De temps à autre, cet homme ou cette femme habitant une maison isolée en plein champ, une maison à peine desservie par un chemin de terre, se regarde dans la glace héritée d’un aïeul. Depuis plus de trois cents ans, cette glace a reflété des corps jeunes ou vieux dans leur nudité glorieuse ou tremblante à moins que des corps vêtus de dentelles triomphantes, de pourpoints couleur de mauve ou de giroflée ou de redingote de deuil […] Qu’une poutre craque, qu’une porte grince et celle qui regarde son corps déjà pubère se prend d’une soudaine crainte. Pourtant, il n’entre personne et les animaux quasi-aveugles du grenier semblent eux-mêmes dormir. Voilà maintenant cette même fille vêtue de lourdes étoffes couleur feuille morte ou de sang séché. On ne sait plus à quel siècle nous sommes. Elle ouvre la fenêtre qui donne sur la solitude d’un pré ou d’une jachère. Alors monte jusqu’à ses petites oreilles que décore une perle des mers indiennes ou une goutte d’or, le bruit des crapauds et celui d’un insecte inconnu.Elle ferme la fenêtre, ressent la présence de son sang, de ses poumons, de son cœur, de ses entrailles chaudes. Elle est alors prise du désir de manger du pain dans la nuit, pas d’un pain spécial, mais de celui-là même que consomme, durant toute l’année, la paroisse rurale qui est la sienne sans même qu’elle l’ait voulu. » Jean Follain, prose inédite, publié dans la revue Poésie n° 36, décembre 2003.