J’arrive à l’Hôtel Savoy à dix heures du matin. J’étais décidé à me reposer quelques jours ou peut-être une semaine. C’est dans cette ville que vit ma famille, — mes parents étaient de Juifs russes. Je voudrais obtenir des subsides pour continuer ma route vers l’ouest. Je reviens de captivité ; prisonnier de guerre pendant trois ans, j’ai vécu dans un camp de Sibérie, j’ai parcouru des villages et des villes russes comme manœuvre, journalier, gardien de nuit, porteur et aide-boulanger. Je suis vêtu d’une blouse russe que quelqu’un m’a offerte, d’un pantalon court que j’ai hérité d’un camarade décédé, et chaussé de bottes encore utilisables, dont j’ai moi-même oublié la provenance. Pour la première fois depuis cinq ans, je me trouve à nouveau aux portes de l’Europe. Joseph Roth, Hôtel Savoy, traduction de Françoise Bresson, Gallimard, 1969.