Je n’ai pas su tout de suite qu’elle s’appelait Léa, non, et son nom était si court, si incisif, que mon cœur le doublait systématiquement, — comme si une seule Léa n’eût pas suffi à alimenter la source de ce secret. Elle m’apprit qu’elle se prénommait Léa un dimanche d’avril au Café des Sports, sur la place Gambetta, en face de la boulangerie de mon oncle Daniel (Aux bons petits pains). Elle venait d’arriver dans la ville. Elle avait des parents (je n’ai pas osé lui demander ce qu’ils faisaient dans la vie, — je leur étais déjà sacrément redevable d’avoir fait Léa) ; elle n’allait pas à l’école et suivait des « cours par correspondance » ; je trouvai cela si extraordinaire, si pathétique (que n’allai-je pas imaginer ?) et si romanesque que je tombai immédiatement amoureux d’elle. En rentrant chez moi, je dus me répéter son nom un million de fois, et comme cela ne suffisait pas, je continuais toute la soirée, jusqu’au délicat moment de me coucher (car, à ce moment-là, je le sentais, cela devenait de plus en plus dangereux de répéter « Léa, Léa » inlassablement). Dominique Hérody, Léa, à la date du 19 octobre 2010 (sur le blog Maurice et Léa).