Par ce monde vrai je n’entends pas des hommes qui prononcent précisément ce que je leur fais dire. Leur naïveté n’est pas dans leurs mots, j’ai peut-être oublié d’en prévenir le lecteur; elle est dans la tournure de leurs discours, dans l’air qu’ils ont en parlant, dans leur ton, dans leur geste, même dans leurs regard ; mais par tous ces signes, leurs pensées se trouvent si nettement, si ingénument exprimées, que des paroles prononcées ne seraient pas plus claires. Tout cela forme une langue à part qu’il faut entendre, que j’entendais alors dans les autres pour la première fois de ma vie, que j’avais moi-même parlée quelquefois, sans y prendre garde, et sans avoir eu besoin de l’apprendre ; car elle est naturelle et comme forcée dans toutes les âmes. Cette langue d’ailleurs n’admet point d’équivoque, et l’âme qui la parle ne prend jamais un mot l’un pour l’autre. Marivaux (Le voyageur dans le nouveau monde)