À la nuit, pour atteindre la porta Romana et aller me perdre dans Florence, je descendais des hauteurs de Bellosguardo par des sentes qui dégringolaient au milieu des jardins et des prés d’une campagne sauvage. C’était là qu’à mi-pente, entre fossés et talus, s’étendait le royaume des lucioles qui perlaient dans les hautes herbes en d’innombrables constellations. Je n’osais plus avancer ; saisi d’un trouble enivrant, j’aurais voulu disparaître dans ce bal de scintillements, m’abîmer dans ce banquet d’étoiles où s’amoncelaient, à portée de vertige, des infinis insoupçonnés. C’était comme un rêve vivant où l’espace intervertissait ses polarités : la terre venait de basculer tout contre le ciel tandis que toute la voûte céleste s’appesantissait désormais parmi les chemins endormis de Bellosguardo. Est-il plus grand miracle, pour un promeneur égaré dans un pays étranger, que d’aller ainsi timidement à fleur de ciel ? et d’y côtoyer mille trésors qui s’y dissimulent dans les herbes tièdes ? On me dit qu’aujourd’hui, ici comme ailleurs, partout, les lucioles auraient disparu et ne viendraient plus étoiler de leurs pâles confidences nos paisibles nuits d’été. Où se sont-elles en allé ? De quel crime s’étaient-elles rendues coupables que nous les eussions ainsi chassées du labyrinthe de nos rêves ? Un jour, je retournerai du côté de Bellosguardo dans le jeune été de mes rêveries, et j’y saluerai par les sentes éteintes le souvenir de mes amies perdues. (photographie : Heidi, secondcupofcoffee.wordpress.com)