On dit quelquefois que le vrai spectacle est dans la salle. Cette assertion m’a toujours rendu perplexe, mais quand Bonnard peint, il y a tout lieu de le croire, — pour cette représentation, en tous les cas, le spectacle est définitivement dans la salle. Parce que les hommes sont en habit et les femmes en toilette (cela se disait il n’y a pas si longtemps), parce qu’on est dans l’intimité capiteuse de la loge ? parce qu’un drame sourd se fantasme dans les non-dits ? Rien de tout cela, le peintre se contente simplement d’inscrire son récit dans un cadre, si bien que ce cadre devient le récit même de ce brûlant instantané. Que l’homme debout soit coupé à mi-visage, et voici que nous est révélée toute une modernité, dont l’autre versant participerait de la profondeur de champ, avec la curieuse impression que l’ombre occupe le premier plan, tandis que le second demeure dans la lumière irradiante du déambulatoire. Le théâtre n’est plus seulement le théâtre, mais le lieu où la lumière murmure de secrètes allégories. Pierre Bonnard, La Loge, 1908, huile sur toile 91 x 120 cm, musée d’Orsay, Paris.