Monsieur, si j’avais jamais eu le désir d’occuper une chaire professorale, je n’aurais pu en souhaiter une autre que celle que le Sérénissime Electeur m’offre par votre entremise, et cela surtout parce que le très gracieux Prince veut bien m’accorder la liberté de philosopher, pour ne rien dire du désir que j’ai depuis longtemps de vivre dans un pays où règne un Prince dont tous admirent la sagesse. Mais n’ayant jamais été tenté par l’enseignement public, je n’ai pu me déterminer, bien que j’y aie longuement réfléchi, à saisir cette magnifique occasion. Je pense en premier lieu que je devrais renoncer à poursuivre mes travaux philosophiques si je m’adonnais à l’enseignement de la jeunesse. D’autre part, j’ignore dans quelles limites ma liberté philosophique devrait être contenue pour que je ne parusse pas vouloir troubler la religion officiellement établie : le schisme en effet provient moins d’un zèle religieux ardent que des passions diverses ou de l’amour de la contradiction qui détourne de leur sens et condamne toutes paroles, même quand elles sont l’expression d’une pensée droite. Je l’ai déjà éprouvé dans ma vie solitaire de simple particulier, et cela serait bien plus à craindre si je m’élevais à ce degré de dignité. Vous voyez donc, Monsieur, que ce qui m’arrête, ce n’est pas du tout l’espoir d’une fortune plus haute, mais l’amour de ma tranquillité, que je crois pouvoir préserver, en quelque manière, en m’abstenant de leçons publiques. Je vous demande donc de prier l’Electeur Sérénissime de me laisser délibérer encore et de conserver sa bienveillance à son très dévoué serviteur. Vous obligerez d’autant plus, Monsieur, votre tout dévoué B. de Spinoza. La Haye, le trente mars 1673, Lettre au très haut Dr. Louis Fabritius, professeur à l’Académie de Heidelberg et conseiller de l’Electeur Palatin.
Illustration : Spinoza voor zijne regters, staalgravure van J.H. Renneveld (1832–77), naar een verdwenen schilderij (ca. 1865) van Maurits Leon (1838–65). Afkomstig uit : Jacob van Lennep, Willem Moll en Johannes ter Gouw, Nederlands geschiedenis en volksleven in schetsen (Leiden 1868–72). De scène stelt Spinoza voor ten overstaan van de bestuurders van de Amsterdamse joodse gemeente, die hem willen verbannen (privébezit Adri K. Offenberg).