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11 juillet 2012 3 11 /07 /juillet /2012 15:40

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Et maintenant, pourquoi ma pensée va-t-elle, parmi tant d’autres écrivains, vers le poète Roger Gilbert-Lecomte ? Lui aussi, la foudre l’a frappé à la même période que les deux précédents, comme si quelques personnes devaient servir de paratonnerre pour que les autres soient épargnés.

Il m’est arrivé de croiser le chemin de Roger Gilbert-Lecomte. Au même âge, j’ai fréquenté comme lui les quartiers du sud : boulevard Brune, rue d’Alésia, hôtel Primavera, rue de la Voie-Verte… En 1938, il habitait encore ce quartier de la porte d’Orléans, avec une juive allemande, Ruth Kronenberg. Puis en 1939, toujours avec elle, un peu plus loin, le quartier de Plaisance, dans un atelier au 16 bis rue Bardinet. Combien de fois ai-je suivi ces rues, sans même savoir que Gilbert-Lecomte m’y avait précédé… Et sur la rive droite, à Montmartre, rue Caulaincourt, en 1965, je restais des après-midi entiers dans un café, au coin du square Caulaincourt, et dans une chambre de l’hôtel, au fond de l’impasse, Montmartre 42-99, en ignorant que Gilbert-Lecomte y avait habité, trente ans auparavant…

À la même époque, j’ai rencontré un docteur nommé Jean Puyaubert. Je croyais que j’avais un voile aux poumons. Je lui ai demandé de me signer un certificat pour éviter le service militaire. Il m’a donné rendez-vous dans une clinique où il travaillait, place d’Alleray, et il m’a radiographié : je n’avais rien aux poumons, je voulais me faire réformer et, pourtant, il n’y avait pas de guerre. Simplement, la perspective de vivre une vie de caserne comme je l’avais déjà vécue dans des pensionnats de onze à dix-sept ans me paraissait insurmontable.

Je ne sais pas ce qu’est devenu le docteur Jean Puyaubert. Des dizaines d’années après l’avoir rencontré, j’ai appris qu’il était l’un des meilleurs amis de Roger Gilbert-Lecomte et que celui-ci lui avait demandé, au même âge, le même service que moi : un certificat médical constatant qu’il avait souffert d’une pleurésie — pour être réformé.

Roger Gilbert-Lecomte… Il a traîné ses dernières années à Paris, sous l’Occupation… En juillet 1942, son amie Ruth Kronenberg s’est fait arrêter en zone libre au moment où elle revenait de la plage de Collioure. Elle a été déportée dans le convoi du 11 septembre, une semaine avant Dora Bruder. Une jeune fille de Cologne, arrivée à Paris vers 1935, à vingt ans, à cause des lois raciales. Elle aimait le théâtre et la poésie Elle avait appris la couture pour faire des costumes de scène. Elle avait tout de suite rencontré Roger Gilbert-Lecomte, parmi d’autres artistes, à Montparnasse…

Il a continué à habiter seul dans l’atelier de la rue Bardinet. Puis une Mme Firmat qui tenait le café, en face, l’a recueilli et s’est occupée de lui. Il n’était plus qu’une ombre. A l’automne 1942, il entreprenait des expéditions harassantes à travers la banlieue, jusqu’à Bois-Colombes, rue des Aubépines, pour obtenir d’un certain docteur Bréavoine des ordonnances qui lui permettraient de trouver un peu d’héroïne. On l’avait repéré au cours de ses allées et venues. On l’avait arrêté et incarcéré à la prison de la Santé, le 21 octobre 1942. Il y était resté jusqu’au 19 novembre, à l’infirmerie. On l’avait relâché avec une assignation à comparaître en correctionnelle le mois suivant pour « avoir à Paris, Colombes, Bois-Colombes, Asnières, en 1942, acheté et détenu illicitement et sans motif légitime des stupéfiants, héroïne, morphine, cocaïne… ».

Début 1943, il a demeuré quelque temps dans une clinique d’Épinay, puis Mme Firmat l’a hébergé dans une chambre au-dessus de son café. Une étudiante à qui il avait prêté l’atelier de la rue Bardinet pendant son séjour en clinique y avait laissé une boîte d’ampoules de morphine, qu’il a utilisée goutte à goutte. Je n’ai pas retrouvé le nom de cette étudiante.

Il est mort du tétanos le 31 décembre 1943 à l’hôpital Broussais, à l’âge de trente-six ans. Des deux recueils de poèmes qu’il avait publiés quelques années avant la guerre, l’un s’appelait La Vie, l’Amour, la Mort, le Vide et le Vent.

Patrick Modiano, Dora Bruder, Gallimard, Paris, 1997.

 

 

 

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2 juillet 2012 1 02 /07 /juillet /2012 12:05

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Mais le jour où Albertine vint, le temps s’était de nouveau gâté et rafraîchi, et d’ailleurs je n’eus pas l’occasion d’entendre son rire ; elle était de fort mauvaise humeur. « Balbec est assommant cette année, me dit-elle. Je tâcherai de ne pas rester longtemps. Vous savez que je suis ici depuis Pâques, cela fait plus d’un mois. Il n’y a personne. Si vous croyez que c’est folichon. » Malgré la pluie récente et le ciel changeant à toute minute, après avoir accompagné Albertine jusqu’à Épreville, car Albertine faisait, selon son expression, la « navette » entre cette petite plage, où était la villa de Mme Bontemps, et Incarville, où elle avait été « prise en pension » par les parents de Rosemonde, je partis me promener seul vers cette grande route que prenait la voiture de Mme de Villeparisis quand nous allions nous promener avec ma grand-mère ; des flaques d’eau, que le soleil qui brillait n’avait pas séchées, faisaient du sol un vrai marécage, et je pensais à ma grand-mère qui jadis ne pouvait marcher deux pas sans se crotter. Mais, dès que je fus arrivé à la route, ce fut un éblouissement. Là où je n’avais vu, avec ma grand-mère, au mois d’août, que les feuilles et comme l’emplacement des pommiers, à perte de vue ils étaient en pleine floraison, d’un luxe inouï, les pieds dans la boue et en toilette de bal, ne prenant pas de précautions pour ne pas gâter le plus merveilleux satin rose qu’on eût jamais vu et que faisait briller le soleil ; l’horizon lointain de la mer fournissait aux pommiers comme un arrière-plan d’estampe japonaise ; si je levais la tête pour regarder le ciel entre les fleurs, qui faisaient paraître son bleu rasséréné, presque violent, elles semblaient s’écarter pour montrer la profondeur de ce paradis. Sous cet azur, une brise légère mais froide faisait trembler légèrement les bouquets rougissants. Des mésanges bleues venaient se poser sur les branches et sautaient entre les fleurs, indulgentes, comme si c’eût été un amateur d’exotisme et de couleurs qui avait artificiellement créé cette beauté vivante. Mais elle touchait jusqu’aux larmes parce que, si loin qu’elle allât dans ses effets d’art raffiné, on sentait qu’elle était naturelle, que ces pommiers étaient là en pleine campagne, comme des paysans sur une grande route de France. Puis aux rayons du soleil succédèrent subitement ceux de la pluie ; ils zébrèrent tout l’horizon, enserrèrent la file des pommiers dans leur réseau gris. Mais ceux-ci continuaient à dresser leur beauté, fleurie et rose, dans le vent devenu glacial sous l’averse qui tombait : c’était une journée de printemps. Marcel Proust « Les intermittences du cœur », in Sodome et Gomorrhe, À la recherche du temps perdu. Photographie : Jacques-Henri Lartigue, Eden Roc, Cap d’Antibes.

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13 juin 2012 3 13 /06 /juin /2012 16:56

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Dans un soir d’été d’une beauté antique, j’avais avec moi un petit panier tressé et oblong empli de coquillages rejetés par l’océan, cet océan que jamais encore je n’avais contemplé. À mes côtés était venu s’asseoir, faisant la pause dans son travail, Lécluse, le journalier, qui m’expliqua qu’en mettant à mon oreille un gros coquillage, j’entendrais la mer. Effectivement, j’avais entendu en faisant le geste ce bruit de l’air enfermé qu’on sait. Lécluse croyait vraiment que c’était là celui des flots ; je le crus sur sa foi, cependant j’étais quelque peu inquiet et lui demandais comment cela se faisait que l’on entendît ainsi la vague dans une coquille. « Ah ! je ne sais pas, me répondit Lécluse, parce que c’est un produit de la mer. » Et je lui suggérai comme explication : l’habitude. « C’est ça, me dit-il, l’habitude d’entendre la mer. » Et ce journalier n’était point étonné que l’habitude se fût ainsi  fixée en un bruit. Douce foi aux empreintes comme aux métamorphoses. Comme alors le jour se fanait dans un velouté merveilleux, l’herbe devenant noire sous un ciel de légende. Jean Follain, Canisy, Gallimard, 1942 ; photographie de Nadège Ricur, chez Christine, Orgedeuil, 2012.

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8 mai 2012 2 08 /05 /mai /2012 01:15

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« À ce moment, et comme nous étions déjà loin de Martinville, en tournant la tête, j’aperçus de nouveau les clochers tout noirs cette fois, car le soleil était déjà couché. Par moments, les tournants du chemin me les dérobaient, puis ils se montraient une dernière fois, et enfin je ne les vis plus […] Ce qui était caché derrière les clochers de Martinville devait être une jolie phrase, puisque c’était sous la forme de mots qui me faisaient plaisir que cela m’était apparu. » 

« Une jolie phrase » !… Au risque de faire ricaner, le mot est lâché en même temps que le sont les mots, et sur ce sujet Proust rejoint Flaubert qui soutient avec force qu’en littérature seul le beau, le musical est juste, vrai. Invité à Moscou il y a quelques années par l’Union des Écrivains d’U.R.S.S. (c’était avant Gorbatchev), j’ai subi, à leur siège, une sorte de bizarre interrogatoire au cours duquel, entre autres questions, on m’a demandé quels étaient les principaux problèmes qui me préoccupaient. J’ai alors répondu que ces problèmes étaient au nombre de trois : le premier : commencer une phrase ; le deuxième : la continuer ; le troisième enfin : la terminer, ce qui, comme on peut le deviner, a jeté un froid. Claude Simon, Littérature et mémoire, in Quatre conférences, Minuit, janvier 2012.

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29 mars 2012 4 29 /03 /mars /2012 23:33

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Odessa est une ville épouvantable. Tout le monde sait ça. Au lieu de « il y a une grande différence », on dit là-bas « il y a deux grandes différences », et aussi « ici-là et là-bas-ci ». Il me semble néanmoins que l’on peut dire beaucoup de bien de cette ville remarquable et absolument délicieuse de l’empire russe. Songez un peu — une ville où la vie est légère, où la vie est lumineuse… La moitié de sa population est constituée de Juifs, or les Juifs sont un peuple qui a très bien assimilé un certain nombre de choses très simples. Ils se marient pour ne pas être seuls, ils aiment pour vivre éternellement, ils amassent de l’argent pour avoir des maisons et offrir des jaquettes en astrakan à leur épouse, ils sont de bons pères de famille parce qu’il faut aimer ses enfants et que c’est très bien. Les gouverneurs et les circulaires administratives compliquent beaucoup la vie des pauvres Juifs d’Odessa, mais il n’est pas facile de les déloger de leurs positions, cela fait très longtemps qu’ils les occupent. On n’y touche donc pas, et on en tire beaucoup d’enseignements. C’est en grande partie grâce à leurs efforts que s’est créée cette atmosphère légère et lumineuse qui entoure Odessa. Isaac Babel, Odessa, in Œuvres complètes, traduction de Sophie Benech, Le Bruit du temps, 2012. Portrait de l’auteur en 1933.

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24 novembre 2011 4 24 /11 /novembre /2011 09:58

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« Oui elle se trouvait souvent dans un état de grande vulnérabilité. Et cela lui était apparu clairement quand elle était allée à la police, pour leur demander protection. Ils l’avait traitée en quantité négligeable. Ils n’auraient pas eu la même attitude si elle avait été la fille d’un industriel ou d’un notaire de la région. Mais elle n’avait aucune famille, ils la considéraient come une fille de rien, le titre d’un roman qu’elle avait lu. Le policier, en examinant son passeport périmé, lui avait demandé pourquoi elle était née à Berlin et où étaient ses parents. Elle avait menti : un père ingénieur des mines habitant Paris et souvent à l’étranger avec sa femme ; et elle, ayant fait de bonnes études chez les sœurs de Saint-Joseph à Thônes et au pensionnat de La Roche-sur-Foron. » Patrick Modiano, L’horizon, Gallimard.

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21 juillet 2011 4 21 /07 /juillet /2011 11:11

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Imbriqués dans les méandres de la vie réelle, nous sommes en même temps aux prises avec les difficultés de la littérature, et c’est avec tristesse que nous constatons que, poussés par « l’air du temps » tout au long des trois cent soixante-cinq jours de l’année, nous sommes empêchés de tourner notre regard vers autre chose, obligés de nous rendre à l’évidence que la vie ne peut être qu’étouffante et sans beauté. Mais il peut se faire qu’un charme suranné ait sur notre vie intérieure un effet imprévu de fraîcheur. Aux prises avec la maladie, j'ai pu saisir ce bonheur simple grâce à un délassement fécond, et j'ai éprouvé la même sensation qu’à mon retour d’Europe, lorsque je me suis trouvé pour la première fois devant un repas sans prétention accompagné de riz. Sôseki, Choses dont je me souviens, traduction d’Elisabeth Suetsugu, éditions Philippe Picquier, 2000.

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10 juillet 2011 7 10 /07 /juillet /2011 18:06

alouette-commune.jpg

Une voiture d’arrosage au ventre rebondi traversait le parc dans un bruit de grincement, et aspergeait la pelouse et les massifs de fleurs. Un merle à l’allure de gamin des rues sautillait à côté de la voiture et repoussait de son aile gauche la bruine des gouttes d’eau. Invisible, quelque part dans les airs, tout un pensionnat d’alouettes envoyé en vacances faisait du vacarme. Joseph Roth, Avril. Histoire d’un amour, traduit par Stéphane Pesnel (Le Seuil, juin 1996).

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22 mai 2011 7 22 /05 /mai /2011 11:56

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                          Comment Édouard Manet s’y prit-il avec sa craie rose, la frottat-il aussitôt l’oreille achevée (quelques reflets blancs complèront les effets) sur la poitrine avec un plaisir tel qu’il en exagéra le volume, s’arrêtant avant qu’il ne trahisse quelque embompoint naissant, au grand dam d’Irma et à la grande satisfaction de son mari (quant à son amant, il le savait déjà) ? L’oreille d’Irma Brunner a gagné à sa cause le sourcil, un sourcil espagnol, pour éclipser la bouche écarlate, en tout cas lui retirer sa primauté. Irma Brunner est viennoise de tradition à la façon de l’école espagnole d’équitation, quoi que nous ne sachions rien de sa rigueur. Comme l’oreille, ce sourcil est sans manière. Le chapeau (et le chat toujours endormi) est son écho, son porte-parole. Fourni comme parfois il fait honte (c’est bon pour les campagnardes), frôlé par de timides accroche-cœurs, il encourage le regard. Dominique Hérody, L’oreille d’Irma (Édouard Manet, Portrait d’Irma Brunner, pastel sur toile, vers 1880, musée d’Orsay, Paris.)

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1 mai 2011 7 01 /05 /mai /2011 11:37

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Pour écrire, il faut surmonter les grands désastres, la misère des hommes, les événements — et le journal du sommeil — le métier du jour — cette taie d’huile qui nous rend aveugle et sourd — qu’il faut si violemment déchirer pour reprendre contact avec les choses les plus simples. La perte du carnet est une rupture de naissance. Hier, je criais « Non, Non », au milieu du plaisir. Mon comportement essentiel : susciter le mouvement le plus violent, et au paroxysme, le remonter délibérément à contre courant, aussi douloureux que puissent être les remous. Voilà comme viennent les poèmes.  André du Bouchet, Carnet bleu perdu, Fata Morgana, 1998. 

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Une Petite Rue D’angoulême

  • : le ciel au-dessus de la rue
  • : petites proses journalières, citations, musiques, ou bouts de films.
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il devient écrivain

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« Toujours allongé sur son canapé, il se sent pris d’une fièvre inhabituelle et tandis qu’elle se poursuit dans son corps, sa tête travaille à mettre en ordre d’anciens souvenirs, à élaguer certaines choses et à en rajouter certaines autres. De nouveaux personnages secondaires se présentent, il les voit se mêler à l’action, il les entend parler. C’est comme s’il les voyait sur la scène. Deux ou trois heures plus tard il avait une comédie en deux actes toute prête dans la tête. C’était un travail à la fois douloureux et voluptueux, si on pouvait appeler cela du travail, car cela se faisait tout seul, sans l’intervention de sa volonté et sans qu’il y fût pour rien. Mais à présent il fallait l’écrire. La pièce fut achevée en l’espace de quatre jours. Il allait et venait entre son bureau et le canapé où, par intervalles, il s’effondrait comme une loque. » (August Strindberg)

valentine

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Ma grand-tante s’appelait Valentine. Elle vivait en solitaire à Fontbouillon, une campagne reculée, perdue, elle vivait ? — c'est un bien grand mot, je crois que je devrais plutôt dire qu’elle rêvait. Chaque jour elle s’habillait très élégamment, comme si ç’avait été un dimanche. Elle sortait peu. Elle regardait simplement la petite route qui passait devant sa porte, — où aurait-elle pu aller ? Les maris étaient morts depuis longtemps et son fils s’obstinait à vivre dans sa folie. Valentine s’asseyait à son piano et jouait ses nocturnes. La vie de Valentine est un immense, cruel et déchirant nocturne. Il y a longtemps que je pense à écrire le roman de sa vie absente. Fleur fanée d’un souvenir lointain et douloureux.

en voyage

KafkaMan

On arrive sur la grande place dès les premières heures, et tout est encore dans le tendre déploiement du rêve ; le jour est plus que le jour, — et la nuit moins que la nuit. Les pigeons égrènent la ponctuation subtile et mouvante de leur tourbillonnante quête d’horizons. Le ciel descend au milieu des murs, et les jeunes ombres s’étirent derrière les fenêtres. On est devant les vieilles procuraties, et le cœur s’absente de soi-même. On devient le voyageur de son désir — étranger au pays de ses errances.

l’écriture

wassermann

Il faudrait calculer le secret rapport entre la main et la pensée, — je ne suis pas sûr non plus que ce soit la pensée qui s’avance jusque dans la main, — c’est autre chose, peut-être simplement l’élan, la mise en mouvement de ce rapport justement, qui reste suspendu dans le fil courbe de la plume, et la respiration viendrait de ce qu’il faut tout de même, de temps en temps, tremper la plume dans le lac sombre de l’encrier. Peut-être les pensées sont-elles justement tout au fond dans l’encrier ? petites sirènes d’argent.