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3 février 2011 4 03 /02 /février /2011 23:20

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Les journées au bord de la mer ne sont pas des journées comme les autres, elles contiennent un infini (un infini qui serait tout à coup à notre portée) et deviennent de fragiles petites gouttes d’éternité dans le miroir de l’azur. Quand il composait dans son salon de musique, à Paris, Gabriel Fauré se sentait parfois l’âme méditerranéenne, mais là, une fois arrivé sur les hauteurs, pendant la promenade, il comprend que ses mélodies sont beaucoup trop sèches, trop pensées, — il leur manque l’hymne du jasmin, de l’hibiscus ou du bougainvillée, et le bourdonnement têtu de la lumière. Maintenant qu’il est vieux et sourd, il a la sensation que la musique est là, dans le vertige du paysage, entre le rose, le bleu et le vert. La musique ? autant vouloir saisir un peu du ciel au-dessus de la mer. Gabriel Fauré en promenade à Fréjus, avec Gustave Bret et Marguerite Hasselmans (© Bibliothèque nationale de France).

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31 janvier 2011 1 31 /01 /janvier /2011 19:02

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La dernière fois que nous sommes venus, il y avait une mare dans le coin (coin), j’en aurais mis une palme au feu ! Où est-ce qu’elle est passée cette jolie mare ? Les hommes sont fous, ils sont capables de remplir notre mare de béton pour en faire un parking ! Ils construisent des superettes, des lignes TGV et des fusées démentes, alors que le plus important, ce sont les mares. Ils pourraient au moins laisser les mares tranquilles et arrêter un peu de tout détruire. Je les emmène où maintenant, moi, les petits ? ils vont s’abîmer les palmes sur le goudron, je vous jure ! Hep la ! vous n’auriez pas vu une mignonne petite mare dans le coin (coin) ? s’il vous plaît, dites-moi où ils l’ont déplacée !?

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30 janvier 2011 7 30 /01 /janvier /2011 18:07

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La nature ne se préoccupe jamais de nature, et le naturel est le cadet de ses soucis. Ce qui l’intéresse, à la nature, c’est d’être géométriquement responsable de la forme exacte. La forme exacte d’un devenir, voilà son incessante obsession. Naturellement elle l’obtient en négligeant les stratagèmes annexes. Il lui faut être sans cesse une réelle apothéose.

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29 janvier 2011 6 29 /01 /janvier /2011 18:16

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J’ai vivement arraché quelques pages, puis je suis allé dans la cuisine pour les jeter. Mais je me suis ravisé ; après tout, il y avait sur ces misérables feuilles de papier un petit bout de ma vie, — un samedi soir vers 1975, quelque part dans la campagne silencieuse du Poitou, sans doute une soirée d’un printemps malencontreux. Pourquoi m’étais-je mis tout à coup à écrire ces quelques souvenirs ? ils étaient aussi vagues que mon présent. A l’époque j’errais sur un campus où des étudiantes rieuses faisaient de la sociologie, du droit, — ou encore de la médecine. A l’époque le monde fleurissait autour de moi, mais je ne parvenais pas à y prendre goût. Une éternelle déception m’interdisait même de songer qu’il pourrait jamais exister le moindre lendemain tant soit peu chantant. J’ai fini par les jeter, ces quelques pages de carnet ; je ne m’en sens pas délivré, tout juste suis-je davantage déconcerté. Emmanuel BoveMes amis (illustrations d’André Dignimont, Emile-Paul frères, 1927).

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24 janvier 2011 1 24 /01 /janvier /2011 23:34

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Quand j’ai rencontré Tristessa elle avait les cheveux longs, une frange qui cachait ses grands yeux bleus et une petite tache de naissance sur le cou. Elle portait souvent une robe à pois, conduisait une Simca décapotable et vivait avec un homme. Cet homme était un artiste ; il venait du nord de l’Europe et était à la fois poète, peintre et musicien, que sais-je encore ? Il était aussi beaucoup amoureux de Tristessa. Je les ai observés tous les deux, et je me suis demandé si elle l’aimait autant qu’il l’aimait. Je me suis demandé aussi si, moi, je n’étais pas en train de tomber amoureux d’une fille comme elle. Non, pas une fille comme elle (« une fille comme elle », ça n’existait pas), si je ne tombais pas amoureux de Tristessa, — tout simplement. Quand je la regardais, tout de suite Helberg entrait dans mon champ de vision. Helberg était déjà vieux, mais drôlement doué dans tout ce qu’il entreprenait, artistiquement d’une part, et dans sa vie privée aussi ; après tout Tristessa vivait avec lui, qu’elle fût ou non amoureuse de lui. Je sentais confusément que mon histoire avec Tristessa ne commençait pas sous les auspices les meilleurs, mais savez-vous, vous, comment on peut s’arranger pour ne pas être amoureux de Tristessa ? (photo © Weegee.)

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22 janvier 2011 6 22 /01 /janvier /2011 08:58

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C’était mon ami préféré dans ces temps-là, à vrai dire mon seul ami, à qui je racontais tous les secrets de mon cœur étourdi. Je lui prêtai mon gilet, lui nouai mon écharpe autour du cou et j’ai même essayé d’accrocher un ruban dans ses cheveux, — sauf qu'il n’avait pas un pet de cheveux sur le caillou. J’aimai son gros nez tout rond, ses deux yeux comme deux agates brillantes, et surtout ses merveilleuses, merveilleuses oreilles. Mon ami ne me contrariait jamais, il était toujours de mon avis, et était chaque fois d’accord pour aller au fond du jardin (on cueillait trois fleurs, on regardait le ciel et les oiseaux, et on s’asseyait le cul dans l’herbe, heureux). Qu’est-ce qu’il me faisait rire ! surtout quand il lui prenait l’envie de coller son museau dans mon cou chatouilleux !

(Photographie : collection particulière de Mademoiselle Catherine Remark.)

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20 janvier 2011 4 20 /01 /janvier /2011 23:45

 

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Les invités de la réception l'ignorent et passent près d’elle sans la voir : elle sait qu’elle n’existe pas. Depuis toujours c’est comme cela, et elle n’en souffre plus. Elle n’a pas l’impression de vivre, elle aurait plutôt celle de mourir. Non, ça n’est pas non plus la mort, bien sûr, — ce n’est ni l’un ni l’autre, en définitive. Ça n’a pas de nom ce qu’elle vit. Un jeune homme faisait des photos cette nuit-là. Il y a des types bizarres quelquefois. Lui, c’est elle qu’il a vue, auprès de qui tous les autres n’étaient plus que de vagues fantômes. Il lui a volé son regard, — trois dixièmes de seconde de solitude, cinq centièmes de pureté. Robert Frank , Elevator, Miami Beach, 1955 (gelatin silver print).

 

 

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19 janvier 2011 3 19 /01 /janvier /2011 18:52

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Je pense qu’il devait penser à son avenir. Cela devait lui paraître assez flou, — l’avenir. Il n’arrivait pas à établir une relation d’amitié et de confiance avec ce mot-là. Il concevait qu’il prît sens pour nombre de ses camarades, mais pour lui ? en quoi tiendrait-il à s’octroyer un avenir, s’il s’agissait d’être soi, de perpétuer la lignée, et de s’obstiner à être un Kafka ? Décidément, il n’arrivait pas à être un Kafka ; c’était au-dessus de ses forces, et parce que c’est au-dessus de ses forces, il le désirait ardemment sans qu’il n’en obtînt en contrepartie le moindre bout de projet, l’ombre même d’une brève ambition. Il lui faudrait s’échapper, battre campagne, fuir l’irrespirable ordinaire praguois. Il faudrait être autre, et c’est ce qu’il deviendra, l’étranger absolu de sa propre vie dont il va confondre les artifices. Franz Kafka (This photograph of Franz Kafka is said to have hung over his mother's bed. Taken in 1906 at the American photo studio in Prague, shortly after Franz had received his doctorate in law, the photo later passed to Kafka's favourite sister, Ottla, and thence to her daughter, Vera. It has changed hands a number of times since.)

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18 janvier 2011 2 18 /01 /janvier /2011 20:00

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Quand j’étais un tout petit indien, le monde n’était pas plus grand qu’une clairière. Je sentais le soleil jouer avec les ombres sur mon front et mes narines, et je respirais la bonne odeur brune de ma mère. Ma mère m’avait emmailloté dans un petit sarcophage dans lequel elle me berçait ; elle me regardait comme on regarde un prince. Elle me parlait, elle me disait qu’un jour je serais le roi de ce monde qui allait là-bas jusqu’au bord de la clairière, et je danserais avec les arbres, les ombres et le soleil. Quand j’étais un tout petit indien, ma mère aimait mes yeux noirs et mes cheveux noirs, elle me pinçait la joue en me promettant que j’aurais un grand cheval. Elle préparait le monde de la clairière pour que j’y sois libre et heureux sous un ciel toujours clément. Photographie d’Edward Sheriff Curtis1928.

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17 janvier 2011 1 17 /01 /janvier /2011 21:16

carlos-gardel-et-jose-razzano.jpg

Vous rappelez-vous un peu, Madame ? — nous sommes allés cueillir quelques gentilles fleurettes dans votre jardin l’autre après-midi, et j’ai senti passer sur mes lèvres votre lente solitude. J’en ai parlé à José, et il a composé une milonga. Je la chanterai longtemps, ce soir, au cabaret de la rue mauve. Une autre fois vous l'entendrez, dans un autre quartier, c’est une jeune fille qui la fredonnera alors, penchée sur son ouvrage. Elle sera triste, triste, et dans ses grands yeux brilleront les larmes du crépuscule. Vous l’écouterez et soudain vous vous reconnaîtrez. Les fleurs, l’après-midi et votre peine y seront disposés autour d’une ombre plus accueillante encore. Carlos Gardel et José Razzano.

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Une Petite Rue D’angoulême

  • : le ciel au-dessus de la rue
  • : petites proses journalières, citations, musiques, ou bouts de films.
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il devient écrivain

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« Toujours allongé sur son canapé, il se sent pris d’une fièvre inhabituelle et tandis qu’elle se poursuit dans son corps, sa tête travaille à mettre en ordre d’anciens souvenirs, à élaguer certaines choses et à en rajouter certaines autres. De nouveaux personnages secondaires se présentent, il les voit se mêler à l’action, il les entend parler. C’est comme s’il les voyait sur la scène. Deux ou trois heures plus tard il avait une comédie en deux actes toute prête dans la tête. C’était un travail à la fois douloureux et voluptueux, si on pouvait appeler cela du travail, car cela se faisait tout seul, sans l’intervention de sa volonté et sans qu’il y fût pour rien. Mais à présent il fallait l’écrire. La pièce fut achevée en l’espace de quatre jours. Il allait et venait entre son bureau et le canapé où, par intervalles, il s’effondrait comme une loque. » (August Strindberg)

valentine

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Ma grand-tante s’appelait Valentine. Elle vivait en solitaire à Fontbouillon, une campagne reculée, perdue, elle vivait ? — c'est un bien grand mot, je crois que je devrais plutôt dire qu’elle rêvait. Chaque jour elle s’habillait très élégamment, comme si ç’avait été un dimanche. Elle sortait peu. Elle regardait simplement la petite route qui passait devant sa porte, — où aurait-elle pu aller ? Les maris étaient morts depuis longtemps et son fils s’obstinait à vivre dans sa folie. Valentine s’asseyait à son piano et jouait ses nocturnes. La vie de Valentine est un immense, cruel et déchirant nocturne. Il y a longtemps que je pense à écrire le roman de sa vie absente. Fleur fanée d’un souvenir lointain et douloureux.

en voyage

KafkaMan

On arrive sur la grande place dès les premières heures, et tout est encore dans le tendre déploiement du rêve ; le jour est plus que le jour, — et la nuit moins que la nuit. Les pigeons égrènent la ponctuation subtile et mouvante de leur tourbillonnante quête d’horizons. Le ciel descend au milieu des murs, et les jeunes ombres s’étirent derrière les fenêtres. On est devant les vieilles procuraties, et le cœur s’absente de soi-même. On devient le voyageur de son désir — étranger au pays de ses errances.

l’écriture

wassermann

Il faudrait calculer le secret rapport entre la main et la pensée, — je ne suis pas sûr non plus que ce soit la pensée qui s’avance jusque dans la main, — c’est autre chose, peut-être simplement l’élan, la mise en mouvement de ce rapport justement, qui reste suspendu dans le fil courbe de la plume, et la respiration viendrait de ce qu’il faut tout de même, de temps en temps, tremper la plume dans le lac sombre de l’encrier. Peut-être les pensées sont-elles justement tout au fond dans l’encrier ? petites sirènes d’argent.