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13 mai 2010 4 13 /05 /mai /2010 00:02

bounine.jpg

« Quand il portait un chapeau — dans la rue ou dans le métro – et qu’on ne remarquait pas les reflets vifs qui argentaient ses cheveux roussâtres coupés court, quand on voyait la fraîcheur de son visage fin rasé de prés, et le port bien droit de sa haute silhouette maigre dans son long imperméable, on ne lui donnait guère plus de quarante ans. » Ivan Bounine, À Paris (in Les allées sombres, L’Âge d’homme, collection Les classiques slaves, Lausanne, 1987).

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11 mai 2010 2 11 /05 /mai /2010 22:27

Chardin--enfant-au-toton--vers-1736-.jpg

Auguste-Gabriel surveille sa toupie qu’il regarde tourner sur la petite table de bois. La toupie commence à perdre de la vitesse, et elle va bientôt s’affaisser sur le côté. Auguste-Gabriel appréhende la chute inévitable de son jouet, mais, en même temps, peut-être songe-t-il qu’après un de ses astucieux lancers la toupie ne tombera plus, et refusera de perdre de son élan ; elle tournera indéfiniment sur la table, — et l’enfant ne saura plus alors quoi penser de ce phénomène singulier. Voilà ce qu’il attend désormais avec une sage impatience : que le monde ne soit plus celui que les savants ont aimé décrire par le menu. Toute enfance est attente songeuse de ce prodige, — dans la folle appréhension de le comprendre trop. Jean-Siméon Chardin, L’enfant au toton, huile sur toile 76 cm x 67 cm (vers 1736), Musée du Louvre, Paris.

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9 mai 2010 7 09 /05 /mai /2010 12:45

Benjamin_in-der-Bibliothek-in-Paris-copie-1.jpg

« Tout familier que nous est son nom, il s’en faut de beaucoup que le narrateur, dans son activité vivante, nous soit vraiment présent. Il est pour nous une réalité lointaine et qui s’éloigne de plus en plus. Qualifier Leskov de narrateur, c’est moins le rapprocher de nous qu’augmenter au contraire sa distance. » Walter Benjamin, Le narrateur, traduit par Maurice de Gandillac in Rastelli raconte, éditions du Seuil, 1987 (Walter Benjamin in der bibliothek, Paris).

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7 mai 2010 5 07 /05 /mai /2010 16:36

zorah-sur-la-terrasse-copie-1.jpg

Zorah sur la terrasse d’Abdelkader Djemaï est publié au Seuil et sort ces jours-ci dans les librairies. Henri Matisse est allé deux fois à Tanger où il séjourna au début du siècle dernier. Pas très loin, du côté d’Oran en Algérie, le grand-père d'Abdelkader ressemble comme deux gouttes d’eau au peintre. Ils partagent le même amour pour la lumière, le mystère des nuits, et l’ombre secrète des femmes dans les rues du soir. (Henri Matisse, Zorah sur la terrasse, huile sur toile, 116 x 100 cm, 1912, coll. Puschkin Museum, Moscou).

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6 mai 2010 4 06 /05 /mai /2010 12:12

Nikolai-Semionovitch-Leskov--retrato-de-Walentin--copie-1.jpg

« Reiner imaginait alors une plaine, un espace infini qui ne fût ni limité par des montagnes, ni menacé par des avalanches. Tout au long de cette vaste étendue se déroulaient de larges bandes bleues — des fleuves —, se dressaient çà et là d’épaisses forêts, des champs immenses ondoyaient, et une forte odeur d’épis de chanvre et de fleurs stériles, un peu étouffante, imprégnait l’air. De loin en loin, dans cette vaste plaine on voyait de pauvres villages habités par des gens qui ignoraient presque toutes les commodités de la vie ; plus rarement encore, de pauvres églises où le peuple portait son chagrin, sa joie. Ici, tout se faisait lentement, doucement, la tête baissée. Lancinante et mélancolique, la cloche de l’église la plus proche sonnait derrière la colline, et plus lancinante, plus mélancolique encore, la chanson dont le sens était contenu moins dans ses paroles que dans les “ah !” et les “oh !” qui les accompagnaient et qui vous fendaient l’âme se figeait dans l’air. Là-bas, il y avait la veilleuse argentée qui brillait faiblement au-dessus d’une châsse en argent, sa mère, Robert Blum et son père qui préconisait de moins parler et de ressembler à soi-même… » Nikolaï Semionovitch Leskov, Vers nulle part, traduit par Luba Jurgenson, L’Âge d’homme, 1998 ; portrait de l’auteur par Walentin Serow, 1894).

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5 mai 2010 3 05 /05 /mai /2010 00:34

winnie-the-pooh-1926-chapter11.jpg

« Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de Miss Kitty, il serait absolument nécessaire que j’aille lui acheter un gros pot de miel à l’épicerie, je suis sûr que cela lui ferait rudement plaisir », se dit Winnie en se grattant modestement l’oreille. Mais on dirait qu’aujourd’hui il souffle grande tempête sur Angoulême ! Les feuilles se croient à l’automne et tombent déjà des arbres, le ciel est tout gris, et Christopher Robin s’est même habillé comme s’il partait bientôt à la pêche à Terre neuve… « J’ai les pieds tout trempés, et les parapluies volent dans la rue d’Arc », constate Winnie. Il se met en route cependant, et il s’encourage en chantonnant What A Difference A Day Makes (en espagnol). « En plus, il faut que je lui trouve un gros pot de miel BIO ! sinon ça va pas le faire ! » se réprimande Winnie en grimpant aussitôt dans un parapluie qui passait par là. Oh ! comme la vie est difficile quelquefois pour un petit ourson ! Dessin d’Ernest Howard Shepard, in Winnie l’ourson d’Alan Alexander Milne.

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4 mai 2010 2 04 /05 /mai /2010 00:37

valery-larbaud-copie-1.jpg

« La promenade dans les petits coins du navire est toujours amusante ; c’est très propre et très brillant : tout luit, à l’intérieur ; le vernis blanc des cabines, les bois et les glaces des salons, les branches métalliques des lampes. Des avis affichés font penser, rédigés en grec, en serbe, en allemand, en italien, à toute l’activité maritime de l’Adriatique. C’est l’Orient et l’Occident mêlés. Et si l’on se sent en pays allemand au fond de ce steamer, on n’a qu’à remonter sur le pont pour retrouver, tout près, l’Italie. Des gondoles approchent, chargées de passagers et de bagages : les faisceaux des becs électriques au quai des Esclavons, allongeant des reflets blancs sur la lagune pareille à du papier glacé noir, éclairent assez distinctement le Jardin royal, le palais rose des Doges, la façade rouge du Danieli, et, en face, la Piazzetta. »  Valery Larbaud (Venise-Trieste, in Journal, éditions Gallimard, 2009).

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1 mai 2010 6 01 /05 /mai /2010 19:51

terrot-1935-copie-1.jpg

Un samedi ? étions-nous réellement un samedi ? — non, c’était un autre jour, un jour fade et tout ramolli, qui ne ressemblait à aucun des autres jours de la semaine, et Alberto se demandait ce qui pouvait arriver un jour tel que celui-ci dans sa vie. « Vous voyez, en deux lignes, toute la question métaphysique se trouve dûment exposée », murmura-t-il à son reflet fuyant dans la vitrine d’un magasin de nouveautés. Car ce jour qui n’en était pas un, Alberto allait de son pas férié par les rues commerçantes endormies. Où sommes-nous ? devrions-nous être tout de même quelque part ? Au garage, derrière la traction Citroën et la Bugatti (il lui manquait une roue, nous sommes désolés), la moto attendait sous sa bâche. « Voilà qui est mieux », se dit un Alberto tout ragaillardi à l’idée d’aller sur les routes de campagne, en chevauchant la Terrot, — les avant-bras vibrants comme lorsqu’il était une espèce de jeune révolutionnaire (c’était il y a bien longtemps, en 1935 peut-être, du côté de Barbezieux-Saint-Hilaire, en Charente). 

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27 avril 2010 2 27 /04 /avril /2010 16:33

Christian-copie-1.jpg

« Je n’y cherche peut-être que ce qui m’y a précédé, ou que j’ai imaginé y trouver un jour : l’ombre d’un cerisier en fleurs sur une tasse à thé achetée à Yokohama par un commandant de navire aux yeux clairs, le souvenir diffus de l’effervescence d’un marché aux oiseaux près d’un pont de Nankin, la brise d’un éventail sur la joue pâle d’une apprentie-geisha croisée une nuit dans la ruelle Ponto-dori à Kyôto, le tintement cristallin de la clochette d’un moine invisible, enfoui dans un trou qu’il a creusé lui-même. Rien de bien consistant, comme on voit. Rien de bien actuel non plus. De la matière dont sont faits les songes, tout au plus. » Christian Garcin, Partir in Carnet japonais, L’Escampette éditions, avril 2010).

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27 avril 2010 2 27 /04 /avril /2010 11:09

pina-bausch-copie-2.jpg

(…) Pina Bausch est enfin née pendant ces journées lumineuses du printemps 1978, tandis qu’elle s’achemine, obstinée et intransigeante, sur ses bientôt quarante ans. C’est une somnambule à la figure livide échappée d’une esquisse douloureuse et tremblante d’un Alberto Giacometti, dans la nudité absolue de son avant-garde. Elle se perd dans la forêt désordonnée des chaises brutalisées de son infernal Café Müller, que Rolf Borzik a minutieusement scénographié (…) Une reine en exil, un tombeau de Philippine Bausch, de Jean-Paul Chabrier (extrait de la courte notice biographique, Actes Sud-Papiers, coll. Apprendre, mai 2010). Pina Bausch à Düsseldorf, le 22 octobre 2007, photographie de Volker Hartmann.

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Une Petite Rue D’angoulême

  • : le ciel au-dessus de la rue
  • : petites proses journalières, citations, musiques, ou bouts de films.
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il devient écrivain

strindberg-copie-1.jpg

« Toujours allongé sur son canapé, il se sent pris d’une fièvre inhabituelle et tandis qu’elle se poursuit dans son corps, sa tête travaille à mettre en ordre d’anciens souvenirs, à élaguer certaines choses et à en rajouter certaines autres. De nouveaux personnages secondaires se présentent, il les voit se mêler à l’action, il les entend parler. C’est comme s’il les voyait sur la scène. Deux ou trois heures plus tard il avait une comédie en deux actes toute prête dans la tête. C’était un travail à la fois douloureux et voluptueux, si on pouvait appeler cela du travail, car cela se faisait tout seul, sans l’intervention de sa volonté et sans qu’il y fût pour rien. Mais à présent il fallait l’écrire. La pièce fut achevée en l’espace de quatre jours. Il allait et venait entre son bureau et le canapé où, par intervalles, il s’effondrait comme une loque. » (August Strindberg)

valentine

renee-2-copie-2.jpg

Ma grand-tante s’appelait Valentine. Elle vivait en solitaire à Fontbouillon, une campagne reculée, perdue, elle vivait ? — c'est un bien grand mot, je crois que je devrais plutôt dire qu’elle rêvait. Chaque jour elle s’habillait très élégamment, comme si ç’avait été un dimanche. Elle sortait peu. Elle regardait simplement la petite route qui passait devant sa porte, — où aurait-elle pu aller ? Les maris étaient morts depuis longtemps et son fils s’obstinait à vivre dans sa folie. Valentine s’asseyait à son piano et jouait ses nocturnes. La vie de Valentine est un immense, cruel et déchirant nocturne. Il y a longtemps que je pense à écrire le roman de sa vie absente. Fleur fanée d’un souvenir lointain et douloureux.

en voyage

KafkaMan

On arrive sur la grande place dès les premières heures, et tout est encore dans le tendre déploiement du rêve ; le jour est plus que le jour, — et la nuit moins que la nuit. Les pigeons égrènent la ponctuation subtile et mouvante de leur tourbillonnante quête d’horizons. Le ciel descend au milieu des murs, et les jeunes ombres s’étirent derrière les fenêtres. On est devant les vieilles procuraties, et le cœur s’absente de soi-même. On devient le voyageur de son désir — étranger au pays de ses errances.

l’écriture

wassermann

Il faudrait calculer le secret rapport entre la main et la pensée, — je ne suis pas sûr non plus que ce soit la pensée qui s’avance jusque dans la main, — c’est autre chose, peut-être simplement l’élan, la mise en mouvement de ce rapport justement, qui reste suspendu dans le fil courbe de la plume, et la respiration viendrait de ce qu’il faut tout de même, de temps en temps, tremper la plume dans le lac sombre de l’encrier. Peut-être les pensées sont-elles justement tout au fond dans l’encrier ? petites sirènes d’argent.